Evaluation professionnelle, GRH et dialogue social : déclaration à la CAPD du 7 mars 2019

Madame l’Inspectrice d’Académie, Mesdames et Messieurs les membres de la CAPD du Bas-Rhin,

Il y aurait tellement à dire sur l’actualité nationale et ladite loi Blanquer : son autoritarisme, sa défiance des personnels, la logique budgétaire qui la sous-tend, par exemple. Nous préférerons, comme à notre habitude, vous entretenir d’un point qui relève des prérogatives départementales.

Cette CAPD d’installation devait étudier les saisines des collègues non satisfaits de leur appréciation professionnelle. Nous avons appris que votre administration refusait d’étudier les saisines des collègues n’ayant pas eu de RV de carrière, ceux qui constituent le fameux “stock” des promouvables à la hors classe. Nous en sommes extrêmement déçus et notons une fois de plus, le gap qui existe entre les discours bienveillants et la politique RH menée dans le département en matière d’évaluation.

Car ce sujet est délétère pour le moral des enseignants. Posons d’abord sur la table une vérité, que nous partageons tous ici, du moins c’est ce que nous espérons à l’Unsa. Il s’agit du postulat qu’un bon enseignant est d’abord un enseignant heureux. Démêlons à présent quelques fils à notre réflexion…
– Pour être heureux au travail, il faut être sécurisé par des repères explicites.
– Pour qu’une évaluation soit bien vécue, il faut qu’elle fasse sens.
– Etre évalué sur la base de quelques 11 compétences généralistes, sans en connaître les sous-compétences observables, ni les niveaux d’exigence attendus, ça n’a déjà pas de sens.
– Voir son engagement professionnel réduit à une note, à l’époque, était infantilisant. Mais voir son engagement professionnel réduit à un terme-couperet peut être tout aussi redoutable. Il ne faut jamais sous-estimer la portée des mots.

Ce que nous interrogeons ici, c’est bien le sens de l’avis. Pour certains, il se confond avec le sens de la vie. Nous pensons à ceux, hyper-engagés, malmenés, fatigués, en mal de reconnaissance, qui forcément ne peuvent que “décompenser” au sens psychique du terme, quand arrive l’avis porté sur leur valeur professionnelle. Tous ces enseignants, anciens bons ou très bons élèves, qui à présent ne le seraient donc plus.

Mais cet avis, qu’évalue-t-il exactement ? De quelle valeur parle-t-on là ? De quelle marchandise s’agit-il donc ? Cet avis, qui est censé qualifier une valeur professionnelle, c’est-à-dire la valeur d’un professionnel et donc bien la valeur d’une personne au travail. Rappelons que, jusqu’à nouvel ordre, les enseignants sont des humains, faits de chair, d’os, de raison et de sentiments.

Entrons maintenant dans le dur.

On fait comment quand on n’a pas beaucoup de valeur, pour garder la flamme et rester bienveillant, souriant, diplomate, malgré la difficulté du contexte et l’usure du métier ? On fait comment pour donner du crédit à cet avis dont on n’a pas les clés de décryptage ? On fait comment ensuite pour accepter, pour rebondir, pour trouver l’énergie et les ressources pour continuer ?…

Pour illustration de nos propos, un verbatim ; je cite mot pour mot ce que les collègues nous ont écrit :
« Après tant d’années de métier où je n’ai jamais été malade, je ne suis que « satisfaisante »
Ou bien :
« A la dernière inspection, on m’encourageait à passer le CAFIPEMF, et là, je ne suis que « très satisfaisante »
Ou encore :
« Ma collègue qui part tous les jours pile après la sonnerie, pourquoi elle est excellente, et pas moi qui ne compte pas mes heures ?»
Ou pour finir :
« Je sais qu’on a beau être professionnel, si le supérieur hiérarchique t’a discrédité, tu n’es plus rien… »

Fautes de repères, faute de critères, faute de lien entre évalué et évaluateur, l’avis est un mystère pour de nombreux collègues. Il y a ceux qui composent avec parce qu’ils ont la force du recul, il y a ceux qui passent outre parce qu’ils n’accordent (pardon !) que peu de crédit au jugement de leur hiérarchie, et puis il y a ceux qui ne l’ont pas digéré. Ceux qui vont aller plus mal encore qu’avant. Il faut dire que l’administration ne les a pas aidés.

Sans vouloir être désobligeant-e, la réponse-type qui a été envoyée aux demandeurs de recours gracieux a été, pardonnez notre franchise, une pépite de courrier administratif truffé d’éléments de langage. Ce courrier a eu comme conséquence d’accentuer encore le sentiment d’arbitraire et de déconnexion émanant de votre administration. Aux yeux des collègues, ce courrier confirme qu’ils ne sont que des pions dans une gestion des flux où l’individu n’a pas vraiment de crédit.

Ils sont quelques-uns à tenir en équilibre sur un fil, quelques-uns qui s’accrochent jour après jour au sourire d’un élève, au merci d’un parent. Parfois, l’avis qui a été porté sur eux a provoqué des dommages irréversibles. Ah, ce fameux sens de “l’avis”, encore lui…

Aujourd’hui, Madame la directrice académique, vous nieriez à certains collègues leur droit à saisir la CAPD, décret 82-451 du 28 mai 1982, relatif aux CAPD, article 25, je cite : “Elles peuvent être saisies (…) de toutes questions d’ordre individuel concernant le personnel. De la même manière, vous feriez comme si n’existait pas le décret n°90-680 du 1er août 1990 relatif au statut particulier des professeurs des écoles ? Article 23-6 : “La commission administrative paritaire compétente peut, à la requête de l’intéressé, sous réserve qu’il ait au préalable exercé le recours mentionné au premier alinéa, demander au recteur la révision de l’appréciation finale de la valeur professionnelle.”

Madame L’IA-Dasen, en leur refusant l’examen en CAPD qu’ils sollicitent de leur situation, votre administration mettrait à mal ces collègues une seconde fois. D’autres départements ont compris ces enjeux RH en donnant suite à ces saisines. C’est ce que nous vous demandons très clairement aujourd’hui : il faut que soient examinés l’ensemble des demandes de saisines des collègues, quelque soit leur échelon, et qu’ils aient eu ou non un RV de carrière. (Je signale à ce sujet que plusieurs départements ont d’ailleurs acté le principe d’une réévaluation possible des avis des IEN entre deux campagnes d’accès à la hors classe.)

Dans ce métier où personne ne leur a appris à prendre soin d’eux, le SE-Unsa revendique pour les collègues qu’ils n’aient plus à subir leur évaluation professionnelle. Qu’ils puissent connaître précisément les critères sur lesquels on les évalue devrait être une évidence pour tout le monde.

Une évaluation d’adulte doit être horizontale.  Il ne peut pas y avoir de confiance a priori entre un évaluateur qui serait un expert terminé et un évalué qui serait jusqu’à la fin de sa carrière éternel apprenti. Il faut des critères explicites, détaillés et connus de tous ainsi qu’un accompagnement humain, horizontal, lors du rendu de l’appréciation finale.

Aujourd’hui, on est très loin du compte. Pour le SE-Unsa, ce sera pour la nouvelle IA-Dasen du Bas-Rhin, un défi majeur à relever. A l’Unsa, nous pensons résolument que cette problématique de l’évaluation doit être traitée sous l’angle RH. La triste GRH Education Nationale « à consolider » doit absolument progresser concrètement, et votre mission, Madame l’Inspectrice d’Académie-Dasen, est d’avoir le souci constant du bien-être de vos personnels.

Dernier point, toujours en lien avec l’évaluation : le barème départemental que vous avez arrêté pour les réductions d’ancienneté aux échelons 6 et 8 : le SE-Unsa a été force de proposition, il a demandé que le sujet soit traité en GT, il avait eu à ce sujet un accord à la dernière CAPD. Puis rien ne s’est passé.

Nous constatons un délitement réel du dialogue social paritaire. La dernière CAPD s’est tenue il y a 4 mois. D’autres départements ont organisé des concertations paritaires en GT, tant sur l’évaluation professionnelle que sur les promotions. Chez nous, l’activité paritaire s’enlise, hélas… et la date d’installation de la CAPD issue des urnes il y a 3 mois est signifiante. Il ne me semble pourtant pas que la loi Fonction publique ait déjà été votée, pour le Bas-Rhin…

Madame l’Inspectrice d’Académie, nous demandons avec force et détermination que la GRH s’améliore enfin dans ce département, que le dialogue social paritaire y soit relancé. C’est le vœu que le SE-Unsa formule pour le service public d’éducation bas-rhinois, en cette CAPD d’installation.