Une politique linguistique pour la France : Arrêtés de certification en langue dans le premier cycle universitaire (mis à jour le 23 mai 2020)

NOUVEAU au 23 mai 2020 ! Le communiqué du Député Bruno STUDER suite à l’audition par la commission des Affaires culturelles et de l’Éducation supérieur et de la Recherche de la Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche est à lire ICI.

Ca y est, le mal est fait ! Profitant de la crise sanitaire majeure qui sévit dans le monde, le gouvernement en a profité pour passer deux textes mettant en place une politique linguistique a minima au sein du premier cycle universitaire. Qu’on se le dise, nos étudiants ne seront qu’anglophones, en plus d’être francophones !

Les textes officiels

Mais revenons en arrière, pour comprendre la politique linguistique que la France est en train de mettre en place. Car le fondement sur lequel elle repose, il faut bien l’avouer, part d’une très bonne intention. Il s’agit en somme d’outiller les étudiants sortant des trois premières années d’études d’une seconde langue, quelle que soit la filière d’étude.

C’est ainsi que depuis quelques mois, le gouvernement travaille à différents textes qui encadreront cette initiative. Dès l’origine, il emprunte cependant une voie unilatérale, offrant une allée royale à l’anglais. Il décide de promouvoir cette unique langue dans les filières universitaires, faisant fi de toutes les mises en garde, de tous les appels au secours lancés par des élus, des associations de langues, des associations culturelles, des parents d’élèves, des enseignants et des chercheurs.

Trois textes paraissent alors, au fur et à mesure des avancées de la réflexion. Le premier texte est un arrêté du 6 décembre 20191 publié au Journal officiel le 12 décembre. Il stipule notamment dans son article 12 que pour les licences professionnelles « la délivrance du diplôme est subordonnée à la présentation d’au moins une certification en langue anglaise externe et reconnue au niveau international et par le monde socio-économique ».

Deux textes seront ensuite publiés lors du confinement dû à la crise sanitaire du COVID 19. Le deuxième texte est un arrêté du 3 avril 20202, publié au Journal officiel le 7 avril. Ce texte précise que pour les licences et les diplômes universitaires et technologiques, « cette certification concerne au moins la langue anglaise ; dans ce cas, elle fait l’objet d’une évaluation externe et est reconnue au niveau international et par le monde socio-économique. La justification de la présentation à cette certification conditionne la délivrance du diplôme ».

Quant au troisième texte, il s’agit d’un arrêté également du 3 avril 20203, publié au Journal officiel le 5 avril. Lui aussi stipule également que « Les candidats au brevet de technicien supérieur se présentent au moins à une certification en langue anglaise faisant l’objet d’une évaluation externe et étant reconnue au niveau international et par le monde socio-économique ».

Problème de cette politique linguistique
Depuis la fin de l’année 2019, en somme depuis que le gouvernement communique à propos de sa démarche, nous assistons à une levée de boucliers de tous les acteurs politiques, institutionnels et associatifs, conscients que le tout anglais n’est pas la bonne solution. En Alsace et en Moselle thioise4, la directrice du site de Sarreguemines de l’INSPé de Lorraine, Florence Soriano-Gafiuk, s’est révélée fer de lance de ce mouvement de protestation. Depuis fin 2019, elle interpelle les élus, rédige des courriers et motive les troupes.

Dans un courrier envoyé au Premier ministre par treize sénateurs et députés alsaciens, à l’initiative du député Patrick Hetzel, les auteurs résument assez bien la situation. S’ils sont bien d’accord que « s’assurer de la bonne maîtrise d’une langue vivante étrangère pour un diplômé de l’enseignement supérieur français est une bonne chose », ils le mettent en garde, « le fait d’imposer aux étudiants d’obtenir une certification en anglais pour la délivrance du diplôme de licence, de licence professionnelle ou du DUT est incompréhensible et c’est une position qui est totalement orthogonale aux positions diplomatiques de la France en matière de diversité culturelle ». Et effectivement, à l’heure où la Grande-Bretagne quitte l’Union européenne, les mesures prises par la France en matière de politique linguistique peuvent étonner le plus grand nombre, car elles vont à l’encontre de toutes les précautions prises par le passé, notamment lors de la signature du Traité d’Aix-la-Chapelle en 2018.

Le 15 avril 2020, ces élus invitent donc vivement le gouvernement, à travers une « proposition de résolution visant à promouvoir une véritable politique plurilinguistique de l’enseignement supérieur français » à « modifier sa politique en matière de certification en langue anglaise pour les candidats inscrits aux diplômes nationaux de licence ». Ainsi, les parlementaires proposent à Edouard Philippe de simplement substituer dans ces trois textes aux termes « certification en langue anglaise » les termes « certification en langue vivante étrangère ».

Enjeux pour l’Alsace et la Moselle thioise
On peut relire un certain nombre de textes, de décisions ou de résolutions, on peut tourner le problème dans tous les sens, on débouchera toujours sur le même constat : la politique linguistique envisagée par la France mènera nos deux régions dans un cul-de-sac linguistique.

En effet, l’Alsace principalement, mais aussi la Moselle, notamment dans sa partie dialectophone, sont des régions qui ont misé sur un bilinguisme franco-allemand. Et pour cause ! Qu’elle soit considérée comme langue régionale, langue du voisin ou tout simplement comme langue étrangère, l’allemand devient la principale langue seconde de travail pour un maximum des élèves qui quittent nos écoles pour rejoindre le monde du travail.

Dans notre région, nous sommes bien conscients de cette réalité socio-économique. La politique linguistique de l’Alsace s’engouffre dans cette voie depuis des décennies ; les conventions cadres signées entre l’Etat et les collectivités territoriales depuis de nombreuses années en attestent. De son côté, la Lorraine vient de signer en 2019 une « convention cadre 2019/2035 – pour une vision stratégique commune de développement des politiques éducatives en faveur du plurilinguisme et du transfrontalier sur le territoire lorrain ». Avec raison, ces deux régions font de l’allemand une langue de travail : l’Allemagne, comme la Suisse et le Luxembourg, sont des pays générateurs d’emploi. Ce serait donc complètement contreproductif et aberrant de ne pas miser sur cette langue commune d’envoyer nos élèves et étudiants sur le marché du travail sans les « armer » au mieux.

Bien entendu, il n’est pas question de les priver de l’anglais qui est et restera une langue de travail au sein des entreprises européennes. Mais elle ne doit pas devenir l’unique vecteur de communication internationale, managériale et commerciale, surtout dans des régions de rencontre, comme le sont le Rhin supérieur ou la Région Saar-Lor-Lux. Plusieurs langues peuvent – et doivent – ici se « partager le gâteau ». Il en va de même dans d’autres régions bi-plurilingues de France, comme la Catalogne, le Pays basque ou encore le Nord de la France.

Si l’on attendait une réelle politique linguistique pour la France depuis des décennies, on ne pensait pas qu’elle serait linguicide à ce point. La France mise sur un seul cheval, sur un simple bilinguisme, alors qu’elle pourrait et devrait miser sur un plurilinguisme porteur et ainsi doter ses étudiants des meilleures « armes » linguistiques du moment. Il faudra faire bien mieux, si l’on espère redresser l’économie de la France, mise à mal par une période de crise sanitaire et de confinement aussi longue !

Ambitionnons une réelle politique linguistique plurielle pour la France !

Yves Rudio

1 https://www.legifrance.gouv.fr/eli/arrete/2019/12/6/ESRS1934915A/jo/texte
2 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=LEGITEXT000041782972&dateTexte=20200405
3 https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000041782400&dateTexte=20200426
4 Notion géographique qui désigne la partie de la Moselle qui possède le Platt, un dialecte germanique