Colloque 2015 “Contrôle et évaluation des enseignants : et si on essayait la confiance ?” : la synthèse

Le SE-Unsa a tenu son colloque le 4 décembre 2015.

– Quels sont les besoins d’autonomie et de reconnaissance des enseignants au travail ?

– Comment former des professionnels responsabilisés ?

– Quelles pistes pour une évaluation vraiment formative des enseignants ?

– Des systèmes hiérarchiques bienveillants et non infantilisants existent-ils ?

– Quelles pratiques dans d’autres pays européens ?

 

Devant ces questionnements, des intervenants aux expertises diverses ont apporté leur éclairage :

             Jérôme ENEAU    Enseignant-chercheur à l’université Rennes 2

     Brigitte BANNEROT    Médecin de prévention à la DSDEN 67

      Anne SCHIRMEYER    Psychologue clinicienne en contrat de collaboration avec le rectorat

  Patrick ROUMAGNAC    Secrétaire général du Syndicat des Inspecteurs de l’Unsa

         Patrick SCHANTé    Inspecteur de la circonscription de Molsheim

                   Joël PEHAU    Secrétaire national du SE-Unsa, secteur revendicatif

Dominique CAMINADE    Principale de collège, SNPDEN-Unsa

          László SOMOGYI     Ex chef d’établissement en Hongrie

 


Enseigner c’est à la fois élever et libérer. Comment construire une évaluation des enseignants qui ne touche pas à l’image narcissique (être jugé sur son travail et non sur sa personne) ? Abandonner est toujours une souffrance : comment éviter cet abandon ? L’avancement actuel est totalement discriminatoire. Il faudrait que l’efficacité collective soit évaluée.

 

Pour Jérôme Eneau, l’inspection actuelle peut être comparée à l’impuissance apprise, une perte de confiance en soi lorsque ce que l’on fait n’est pas reconnu. C’est une perte de motivation, on a une image négative de soi-même, alors que tous les professionnels ont une demande de reconnaissance au travail.

 

Un travail non évalué n’est pas la solution pour le docteur Bannerot car on a besoin de retour et d’échanges sur son travail. Étymologiquement, évaluer veut dire “donner de la valeur”. Le regard subjectif sur le mérite, l’expression numérique provoquent des ambigüités : “qu’est-ce qui devrait être du bon travail?” Dans les années 70, la logique de la compétence à vérifier a remplacé une confiance « a priori » que l’on donnait aux qualifications des adultes.

L’évaluation est la production d’un jugement de valeur. Elle guide l’action et c’est en cela qu’elle devrait être suivie du correctif qui doit être apporté. Elle est contextualisée : elle dépend de l’environnement conclut Jérôme Eneau. Le fait qu’elle soit individuelle annihile toute la partie collaborative, en effet, l’individu doit être évalué aussi dans ses interactions avec ses pairs.

 

Le docteur Bannerot considère que l‘évaluation individualisée est aussi une évaluation « individualisante ». Le travail dans son coin est un repli sur soi, un enfermement. Des espaces de dialogue plus fréquents, des fiches collectives de poste doivent exister. Il faut laisser plus de place aux jugements par les pairs avec lesquels il y a de vrais liens. En découle un sentiment de sécurité, de bien-être, d’appartenance. On peut se poser la question de comment aider un collègue qui serait en difficulté ; exposer ses propres difficultés est une première approche intéressante. La difficulté ne doit pas entraîner un jugement de valeur des collègues.

Si le travail de l’enseignant consiste sans cesse à inventer, innover, en tenant compte des prescriptions, il n’y a pas de limite à ce travail, d’où l’épuisement de certains collègues conclut Anne SCHIRMEYER. Ces derniers doivent s’autoriser à penser qu’il y a un autre monde que l’éducation nationale. Se reposer la question du pourquoi on est dans l’E.N. et pourquoi on y reste peut être un facteur de remotivation.

Patrick Roumagnac considère que le travail d’équipe doit s’apprendre en formation initiale et continue. Il faut faire confiance au groupe car le travail de l’objectif commun fait fonctionner le système. Un management bienveillant est important et le compromis doit être un objectif. On n’est pas obligé d’être tous d’accord mais le bien des élèves doit faire consensus et cela doit être l’objectif de la hiérarchie.

L’évaluation formative en formation des adultes est celle qui est importante. La place des erreurs est fondamentale. Le regard que porte l’évaluateur sur la façon dont l’évalué va aller au-delà de ses difficultés compte beaucoup. Le problème de la note est qu’elle est contrainte. La note s’oppose à l’évaluation formative, elle est totalement contraire à l’évaluation collaborative.

La relation de l’inspection est dissymétrique : l’inspecteur vient, il saurait ce que l’enseignant ne saurait pas,  il a une hauteur de vue que l’enseignant n’a pas, il serait capable de dire à un enseignant ce qui est bien et ce qui est mal. Mais la distance avec le terrain s’est souvent installée même si l’expertise du terrain a été jadis reconnue. Cette relation est une double duperie : les enseignants sont suffisamment gentils pour laisser croire à l’IEN qu’ils lui font une confiance absolue et que ce dernier maîtrise la situation. Ils mettent en place des activités qui permettent de valoriser les choses qu’ils savent faire et de taire ce qui serait un peu plus délicat dans leurs pratiques. Or l’IEN est tout à fait au courant de cette duperie : s’installe une relation interpersonnelle à la place d’une relation professionnelle. Selon Patrick Roumagnac, avec le référentiel de compétences, l’évaluation va dans le mauvais sens : le document montrant les observables lors des inspections est trop complexe, impossible, intenable et hypocrite. La tâche est morcelée, c’est une somme de compétences juxtaposées.

Pour le SIEN-Unsa, la relation d’inspection doit être une relation professionnelle basée sur une relation de confiance réciproque. Il faut une nouvelle modalité d’inspection qui sorte d’une relation matinée d’affects, avec une prise en compte du collectif. Les enseignants doivent aussi prendre en compte l’élève dans l’ensemble de sa scolarité passée et future, d’où l’importance du travail d’équipe pour pointer les difficultés potentielles que pourrait rencontrer l’élève conclut Patrick Roumagnac.

Pour la médecine de prévention, l’existence de la note peut poser problème. Un entretien qui porterait sur des critères jugés précis et mesurables serait plus positif. Des espaces institutionnalisés de discussion et de résolution de conflits éthiques diminueraient les risques.

 

 

 

A quoi s’intéresser pour limiter les risques psychosociaux, selon le docteur Bannerot ?

  • L’intensité du travail
  • Le soutien social
  • La demande émotionnelle au travail (le fait de ne pas pouvoir manifester ses émotions, le contact avec la difficulté)
  • Les conflits éthiques (exemples : contribuer à un système que l’on juge injuste, dénoncer ou pas une situation problématique,…)
  • L’autonomie
  • L’insécurité socio-économique (questions de mouvement entre autre)

Source : Enquête SUMER (Surveillance médicale des expositions aux risques professionnels) édition 2010

 


Il faut que tous les enseignants soient en capacité d’oser la professionnalité, de travailler en équipe sans que cela soit demandé. Plus qu’une formation, cela doit être une volonté. L’école doit être un lieu où l’on travaille en collectif. Patrick Schanté, IEN de la circonscription de Molsheim, ajoute que l’inspection peut parfois être le révélateur d’une fragilité déjà présente. Être touché dans ce pourquoi on est là, rend vulnérable. Si l’inspection dérape, c’est que l’IEN a commis une erreur… L’enseignant doit alors se saisir de certains recours (demande de contre-inspection, contestation du rapport).

Les évaluateurs doivent donner des billes pour faire avancer les évalués sur leur façon de fonctionner, sur leurs pratiques professionnelles. Il faut toujours se situer par rapport à son rôle, cela permet d’éviter de se perdre professionnellement.

La reconnaissance de la professionnalité ne semble toujours pas assez présente lors des inspections.
Évoluer dans les relations enseignants/inspecteurs se fera par une action qui viendra des collègues et des inspecteurs. L’action syndicale y est primordiale.

Pour Joël Péhau, l’évaluation doit permettre d’évoluer dans nos pratiques via des formations adaptées. L’inspection et l’avancement doivent être complètement déconnectés afin de ne pas biaiser la valeur formatrice de l’évaluation. Tous les partenaires de l’école doivent participer à l’élaboration d’une grille de mesure de la valeur professionnelle. Enfin, le salaire des enseignants doit être revu à la hausse : une corrélation entre rémunération des enseignants et performances des élèves a été montrée par une étude internationale. N’attendez rien de l’extérieur, c’est chacun qui pourra construire ce qu’il souhaite voir dans le système éducatif.

Il faut trouver la force d’agir collectivement.