Réalité en classe bilingue : témoignage anonyme

Cela fait plus de dix ans que j’enseigne la partie française de classes bilingues dont plusieurs années avec le même binôme. Ayant changé de niveaux à la rentrée, il était prévu que je sois avec une personne M2 stagiaire sur l’une des classes et une personne contractuelle allemande sur l’autre classe.

Mon binôme M2 avait passé le concours en candidat libre et ne connaissait pas du tout la manière de fonctionner de l’enseignement bilingue (pensant traduire mes leçons de français pour les reprendre les jours d’allemand). J’ai passé une partie de l’été à la former et à l’aider à mieux comprendre le fonctionnement de l’enseignement bilingue pour qu’elle puisse démarrer dans de bonnes conditions son année scolaire. Après être venue en observation dans ma classe à la rentrée, cette personne s’est arrêtée rapidement sans jamais vraiment revenir. Ainsi dans les semaines suivant la rentrée, se sont succédés des remplaçants pour la majorité n’enseignant qu’en français à qui je devais à chaque fois expliquer le fonctionnement de la classe.

Avec mon autre binôme le début d’année n’a guère été plus simple, enseignant pourtant en France depuis l’an dernier, cette personne a du mal à bien comprendre les programmes qu’il faut suivre et les répartitions dont nous avions pourtant convenu ensemble.

Sur ma première classe, mon binôme stagiaire M2 n’étant définitivement pas revenu, c’est une autre personne contractuelle allemande qui a pris la suite. Travailler avec deux personnes contractuelles n’est vraiment pas facile. Malgré la bonne volonté de chacun, cela ne fonctionne pas convenablement car ces personnes ne peuvent pas s’investir efficacement.

Les raisons en sont multiples : elles repartent bientôt en Allemagne, pour elles le système éducatif français est bien trop compliqué. Ces personnes peuvent se montrer insatisfaites car elles s’attendent généralement à n’enseigner qu’en extensif et n’imaginent pas qu’elles auront en charge une classe, avec des livrets, des évaluations nationales, des actions de projets d’école à mener, des parents à rencontrer etc.  L’une de mes contractuelles comprend moyennement le français et quand on ne maîtrise pas un mot d’allemand (ce qui est mon cas) il n’est pas aisé de se concerter efficacement et de toujours bien se comprendre. Les quiproquos sont alors réguliers : parfois amusants mais souvent embarrassants vis-à-vis des parents ou du fonctionnement de la classe.  Pour les livrets scolaires (une cinquantaine), je dois, en plus de mes remarques, reprendre toutes celles de ma collègue ne maitrisant pas le français pour les lui corriger. Et encore j’ai de la chance : mon autre binôme maîtrise bien mieux la langue française et écrit sans trop d’erreurs. D’autre part, il est souvent délicat de leur déléguer la gestion administrative, si bien que je me retrouve en charge quasi complète de deux classes.

Pour ce qui est du programme et du mode d’enseignement, il y a souvent un gouffre entre ce que je fais et ce que proposent mes contractuelles.  Leur enseignement est essentiellement basé sur des activités ludiques piochant parfois dans ce qu’il était convenu qu’elles fassent mais aussi dans ce que je fais en partie française : les doublons non prévus sont fréquents.  De mon côté, je cherche à suivre les programmations définies et à m’y tenir. Il est difficile de maintenir une cohérence et une complémentarité dans nos enseignements respectifs. Je me retrouve dans le rôle ingrat de la collègue qui régulièrement rappelle à ses binômes qu’il faudrait traiter tel ou tel point du programme pour que de mon côté je puisse aussi avancer (en mathématiques c’est vraiment très compliqué car tout ne peut pas être fait qu’en partie française !). Finalement mes collègues contractuelles semblent assez peu encadrées et quand je leur suggère de demander de l’aide à la CPC langue, elles estiment qu’elles n’en ont pas besoin. Il serait vain de faire remonter ces dysfonctionnements puisqu’on se satisfait d’avoir déjà du personnel en place.

Un autre souci concerne la gestion des enfants en difficultés. Au fil des ans nous avons en filière bilingue de plus en plus d’enfants qui parfois ne maîtrisent ni le français, ni l’allemand ou qui présentent de lourds troubles des apprentissages. Quand je propose la mise en place de différenciations à mes collègues contractuelles, cela leur parait compliqué à mettre en place les jours d’allemand car elles ne se sentent déjà pas à l’aise pour faire classe de façon uniforme. Je gère donc seule les aménagements pédagogiques, les PPRE, les PAP, les équipes éducatives… ainsi que l’accueil d’élèves ULIS qui sont en inclusion essentiellement les jours de français pour du français, questionner le monde, la morale, l’EPS… en partie allemande ces enfants ne peuvent être inclus que sur l’EPS ou des pratiques artistiques ce qui ne nécessite pas d’aménagements pédagogiques particuliers.

Quand je repense aux animations suivies l’an dernier ; elles nous proposaient de mener de façon ambitieuse des enseignements partagés entre partie allemande et partie française comme par exemple avancer de concert sur une même méthode de lecture ou mener des projets communs en se complétant partie française et partie allemande. Avec les binômes que j’ai cette année, même avec la meilleure volonté de part et d’autre, c’est totalement inenvisageable !

Je ne sais pas comment on pourrait remédier à toutes ces difficultés : peut-être au niveau du recrutement et de la formation des personnels contractuels ?

D’un point de vue personnel, l’enseignement partie française était déjà devenu bien compliqué depuis les nouvelles répartitions horaires (avec ce sentiment de ne plus pouvoir proposer un enseignement de qualité en partie française car devenu beaucoup trop lourd), cette année c’est vraiment la démotivation qui me gagne quand je vois que je suis finalement seule pour tenter de mener un enseignement cohérent tenant compte des programmes et de la nouvelle répartition horaire, alors que mes collègues contractuelles ne les prennent absolument pas en considération.

Voilà les conditions réelles qui existent parfois dans le bilingue. Mais à part ça, dans la filière bilingue, tout va très bien, tout, va, très, bien !