En route vers l’immersion en langue régionale

Yves Rudio, référent « enseignement bilingue » du SE-Unsa 67, analyse la circulaire du 14 décembre 2021 sur le cadre et la promotion de l’enseignement des langues et cultures régionales.

Le Bulletin officiel de l’Education nationale a publié, le 14 décembre 2021, la dernière circulaire relative aux langues régionales et fixant leurs « cadre applicable et promotion de leur enseignement »[1], à la lumière des modifications législatives récentes. La principale nouveauté du texte réside dans le fait qu’il sera désormais possible de pratiquer un apprentissage en immersion dans le cadre des dispositifs bilingues des classes associatives et publiques. Une manière habile de contenter les défenseurs de ces dispositifs sans aller au-delà de ce qu’autorise la loi, régulièrement rappelée par le Conseil constitutionnel.

Un historique chargé

Depuis sa mise en place, l’enseignement des et en langues régionales ne cesse de revoir l’enseignement des langues vivantes en général, à l’aune des avancées de la recherche. En effet, c’est une filière qui ne cesse de se renouveler, en réaction également aux échecs vécus et aux limites constatées.

Après des prémices timides et hasardeux et après la promulgation de la Loi Deixonne en 1951 et de la Loi Haby en 1975, c’est le 21 juin 1982 que le ministre de l’époque, Alain Savary, publie sa première circulaire autorisant « l’enseignement des langues régionales dans le service public d’éducation nationale »[2]. Il y autorise notamment les expérimentations telles que les ouvertures de classes bilingues.

Jusque-là, l’enseignement des langues régionales n’était dispensé dans les classes publiques que de manière extensive, à raison de 3 heures par semaine, deux heures de langue et une heure de culture. Dès lors donc, les premières filières bilingues paritaires ouvrent, même si au Pays basque et en Bretagne les classes associatives immersives en langue régionale existaient depuis respectivement 1969 et 1979. Dans l’académie de Strasbourg, il faudra encore attendre douze années supplémentaires : les premières filières bilingues paritaires ne voient le jour qu’en 1991, dans les écoles associatives d’A.B.C.M.-Zweisprachigkeit d’abord, au sein de l’Education nationale l’année suivante.

Dans les classes immersives du Pays basque, celles du pays occitan et catalan et celles de la Bretagne, l’objectif était de compenser le monolinguisme sociétal en français dans lequel vivaient les élèves, en les plongeant dans un monolinguisme scolaire en langue basque, occitane, catalane ou bretonne, afin qu’ils développent des compétences langagières identiques entre les deux langues de scolarisation.

Cependant, près de trente ans plus tard, la mise en place de classes immersives en langue basque dans le service public se heurte à une législation malheureuse. En effet, la Loi Toubon du 5 août 1994 stipulait que « la langue de la République est le français »[3], tout en reconnaissant l’usage des langues régionales dans l’enseignement. Cette loi avait pour but affiché de freiner l’introduction d’anglicismes dans la langue française, l’auteur garantissant que les langues régionales n’en prendraient pas ombrage.

L’avenir prouvera le contraire. A plusieurs reprises, le Conseil constitutionnel s’est fondé sur cette loi notamment pour retoquer des textes – lois ou circulaires – qui visaient au-delà de la parité horaire dans l’enseignement.

Une immersion impossible ?

Encore récemment, la Loi Molac[4] a été victime de cette Loi Toubon, utilisée à contre-emploi, par le Conseil constitutionnel. Et ainsi, le texte du député breton, Paul Molac, a été vidé de son contenu.

Ce texte pourtant était ambitieux : il aurait permis à l’école d’augmenter la part de la langue seconde, au-delà de la parité scolaire, afin de contrebalancer ce fameux déséquilibre constaté entre les deux langues présentes dans la vie des élèves : la langue seconde, présente uniquement dans leur vie scolaire, la langue maternelle, présente à l’école et omniprésente dans leur vie sociale.

Le second objectif de cette proposition de loi était de « lever définitivement tout doute et [de] conférer un fondement légal, clair à des pratiques expérimentées de longue date par l’enseignement public, notamment dans les Pyrénées-Atlantiques ou en Bretagne »[5].

Une avancée significative

Le Conseil constitutionnel en aura décidé autrement. Cependant, devant la levée de boucliers des milieux associatifs en faveur des langues régionales, le gouvernement d’Emmanuel Macron se devait de réagir et de proposer une réponse à cette frustration : les langues régionales doivent pouvoir s’enseigner au-delà de la parité et il fallait surtout trouver une manière d’entériner l’existant, à savoir les classes publiques immersives du Pays basque et les classes associatives sous contrat d’association, notamment en Alsace. En effet, les classes immersives associatives d’A.B.C.M.-Zweisprachigkeit ouvertes en septembre 2017 bénéficient d’un statut d’expérimentation autorisé en 2018 par le rectorat de Strasbourg.

Finalement, il fallait aussi trouver une manière noble de sortir de ce cul-de-sac politique dans lequel s’était engouffré le gouvernement.

C’est dans ce contexte qu’est rédigée, puis publiée la circulaire citée en préambule. En effet, ce texte « a pour objet d’expliciter le cadre applicable à l’enseignement des langues vivantes régionales dans le respect de la décision n° 2021‑818 DC du 21 mai 2021 du Conseil constitutionnel, qui considère notamment que, si, pour concourir à la protection et à la promotion des langues régionales, leur enseignement peut être prévu dans les établissements qui assurent le service public de l’enseignement ou sont associés à celui-ci, c’est à la condition de respecter les exigences précitées de l’article 2 de la Constitution. »[6]

Cette circulaire comprend plusieurs avancées notoires par rapport à tous les textes publiés en amont et concernant l’enseignement de et en langues régionales. Tout d’abord, pour sa rédaction, toutes les parties ont été mises à contribution, y compris les associations d’enseignants en langues régionales. Ensuite, la liste des langues reconnues a été augmentée : le flamand occidental, le francoprovençal et le picard ont rejoint la liste du ministère de l’Education nationale. Enfin, « la circulaire reconnaît le rôle qui doit être joué par les Conseils académiques des langues régionales et les comités techniques appelés à les épauler, et prend la peine de rappeler les textes régissant leur fonctionnement. »[7]

Et même si ce texte ne fait que confirmer l’existant sur le statut des langues régionales, sa plus grande avancée est de poser une promotion des langues et cultures régionales tout au long de la scolarité et avant tout de renforcer leur enseignement pour les élèves intéressés, dans le cadre du bilinguisme. L’innovation est résumée dans ces deux paragraphes :

« L’objectif des classes bilingues et des sections bilingues, de la maternelle au lycée, est d’assurer une maîtrise équivalente du français et de la langue régionale, que ce soit par la parité horaire hebdomadaire dans l’usage des deux langues ou par l’enseignement bilingue par la méthode dite immersive. Cet enseignement par immersion est une stratégie possible d’apprentissage de l’enseignement bilingue. S’agissant en particulier des trois cycles d’enseignement primaire considérés dans leur globalité, cet enseignement associe l’utilisation de la langue régionale et celle de la langue française pour parvenir rapidement à une certaine aisance linguistique des élèves dans les deux langues. Le temps de pratique de chacune des deux langues peut varier dans la semaine, l’année scolaire ou encore à l’échelle des cycles, en fonction des besoins effectivement constatés.

Le recours à l’enseignement bilingue par méthode immersive est nécessairement facultatif pour l’élève. Ce sont les représentants légaux qui font la demande d’inscrire leur enfant dans une structure pédagogique qui propose cette méthode. Ce choix est guidé par le projet pédagogique de l’école ou de l’établissement, qui doit dès lors être présenté en amont de l’inscription, contribuant ainsi au choix éclairé de l’élève et de sa famille. Le recours au français comme appui à l’expression et à la compréhension de l’enfant au cours des enseignements en langue régionale reste intégré à la démarche pédagogique en tant que de besoin. »[8]

L’avis du SE-UNSA

Le SE-UNSA approuve aujourd’hui cette avancée, à condition que le choix reste – comme toujours et en dernier lieu – aux familles et que la création de cette nouvelle filière ne devienne pas un nouvel outil de sélection pour un entre-soi des CSP élevées.

Aujourd’hui, la filière bilingue paritaire atteint ses limites : les sites historiques publics de l’académie se sont démocratisés, ce qui est une bonne chose, car tous les élèves trouvent leur place dans ces classes d’enseignement bilingue paritaire. Mais le revers de la médaille est que les enseignants ont affaire à des familles qui ne peuvent pas – ou ne veulent pas – offrir davantage de langue régionale que les 12 heures d’enseignement.

C’est par conséquent le rôle de l’école d’offrir plus pour avancer plus. Et sur le plan pédagogique, l’apprentissage des langues en immersion est une modalité d’enseignement connue et reconnue, qui ne porte pas préjudice à la qualité de la maîtrise de la langue maternelle. La circulaire n’exclut d’ailleurs pas le recours à cette dernière. Tout au contraire, elle rappelle qu’elle doit être utilisée autant que de besoin.

Par ailleurs, cet élargissement de l’enseignement bilingue aux apprentissages en immersion permet de régulariser la situation de classes et d’écoles qui pratiquent déjà cet apprentissage immersif, sans remettre en cause les fondements de la Constitution, et tout en permettant la valorisation du patrimoine linguistique et culturel que représentent les langues vivantes régionales, ce patrimoine immatériel de la République française qu’il s’agit de préserver et de transmettre.

Les seuls points d’achoppement restants sont triples. D’abord, il s’agit de traduire en actes ce qui n’est pour l’instant qu’une déclaration de bonnes intentions. Ensuite, il s’agit de veiller à mettre en place des dotations spécifiques pour le financement de ces structures et le recrutement et la formation des enseignants qualifiés. Finalement, il s’agit de lancer une réflexion sur l’entrée des dialectes alsaciens dans ces structures immersives à inventer.

C’est à ce titre que la France se dotera des classes immersives, comme une réponse à la hauteur de l’école qu’elle ambitionne d’avoir.

  • [1] NOR : MENE2136384C
  • [2] Circulaire 82-261 du 21 juin 1982, dite « Circulaire Savary ». BOEN, n° 26, 1er juillet 1982. « L’enseignement des langues régionales dans le service public d’éducation nationale ».
  • [3] Loi 94-665, loi dite « Loi Toubon ».  JO du 5 août 1994.
  • [4] Loi n°21-641
  • [5] http://www.assemblee-nationale.fr/14/cri/2015-2016/20160102.asp, Paul Molac
  • [6] NOR : MENE2136384C
  • [7] Communiqué du 17 décembre 2021 de la FELCO – Federacion dels ensenhaires de lengua e de cultura d’Oc
  • [8] NOR : MENE2136384C